Je pratique depuis 2006, cela fait 13 ans. J’ai longtemps accueilli des compagnons directs et j’ai aujourd’hui le souhait que mes compagnons deviennent eux aussi des aînés de pratique. J’ai retiré beaucoup de fruits de ma pratique : des chagrins, des souffrances se sont dissipés. Aujourd’hui je goûte à une qualité de vie à laquelle je n’avais pas goûté depuis longtemps. Mais, comme par hasard au moment où je savoure cet état, au printemps dernier, un nouvel obstacle familial surgit, m’empêche de profiter de cet état et me rappelle la nécessité de résoudre les karmas familiaux. Il s’agit d’un conflit ouvert avec un de mes frères qui est pourtant celui avec qui cela n’était jamais arrivé auparavant. C’est bizarre, curieux et cela me contrarie…
Une nécessaire remise en cause
L’été se passe, pas très agréable, sans que j’appelle mon aînée parce que moi, je me débrouille toute seule. Je me résous enfin à l’appeler : « C’est quand même moyen, dans ma famille ils sont en cabale contre la pratique et donc contre moi ; à la réunion régionale, j’ai énormément de mal dans mes relations avec les différents participants, je suis tout le temps dans la frustration, dans la revendication. » – « Mais, me répond-elle, c’est normal que ça ne marche pas, tu ne cherches pas, tu ne te relies pas, tu fais comme si tu savais tout et tu ne reviens jamais vers tes aînés pour poser des questions, pour chercher à vérifier le sens de l’Enseignement et des actions, pour essayer d’affûter ton angle de vue ; que tu n’aies pas de résultat, c’est tout à fait normal. Par contre l’une de tes compagnes a fait un chemin, elle est venue cet été à Nantes, elle a recherché d’elle-même. Ça c’est le signe qu’elle a pris le sujet et c’est encourageant. » Ces propos m’énervent beaucoup et, très en colère, comme une enfant capricieuse, je la menace d’arrêter. « Tu vois cet orgueil dont tu m’as parlé, ce n’est pas que celui de ton frère, c’est le tien, c’est ce qui vous dévore dans ta famille, me dit-elle alors. Je te propose de reprendre les actions, de retourner à la Réunion régionale et, au lieu de vouloir imposer ton point de vue, d’écouter, de regarder les qualités qu’ont les autres et que tu n’as pas ; d’accepter que ce soit le cas, de baisser la tête et de prendre l’esprit de créer une vie différente grâce à ces actions. » Il était grand temps de sortir de « la maison en feu » évoquée dans le chapitre III du Soutra du Lotus. Le conflit familial ressemblait à une fournaise et la lave me brûlait les pieds. Rester dans la fournaise ou me remettre en cause ? J’ai choisi la remise en cause. Mais j’avoue que j’y suis allée un peu contrainte et même à reculons.
Adopter une attitude humble et apprenante
Le lendemain avait lieu la première réunion de préparation de la Réunion régionale. J’ai été désagréable, je me suis fait rembarrer et je suis rentrée en larmes. Par contre, très curieusement, le lendemain, je me suis sentie purifiée de tous les empêchements qui s’étaient révélés lors de la réunion. J’ai vu à ce moment-là l’importance d’agir et d’être curieuse d’entendre l’Enseignement. Je pensais que pour nettoyer un état comme celui dans lequel j’étais, il fallait une dizaine de jours et, en une nuit, tout s’était évanoui. J’ai appelé Armelle, présente à la réunion, pour lui transmettre cette expérience. Sa qualité d’accueil m’a encouragée à continuer. Et puis je venais d’adopter une attitude complètement nouvelle pour moi : j’avais accepté de faire ce que mon aîné m’avait proposé sans connaître à l’avance le résultat de cette action. Cela m’a montré la puissance d’adopter une attitude humble et apprenante.
Dans cette dynamique d’actions, Sabine, ma compagne, et moi nous sommes inscrites à la Session d’approfondissement. En nous y rendant, nous nous sommes retrouvées à Niort dans la ville d’un compagnon chez qui nous n’étions pas encore allées installer la plaquette ancestrale. Durant la Session, M. Tanikawa nous a encouragés à nous déplacer chez nos compagnons pour installer les plaquettes ancestrales. Il a insisté sur le fait que c’était une action que l’on accomplissait animés du cœur que nos compagnons et leurs ancêtres se relient à l’Enseignement et progressent. J’ai entendu cette qualité particulière de cœur pour les compagnons et je suis restée en lien avec mon aînée. Manifester ce que je ressens, c’est toujours difficile pour moi : je suis toujours un peu serrée, j’ai du mal, je ne peux pas prendre les gens dans mes bras, je n’arrive pas à faire la bise, j’ai plein d’empêchements de ce côté-là. Je l’ai reconnu, nous sommes allées chez Henri poser la plaquette. Peu après, il a lui-même reçu un compagnon et il est venu à Nantes pour le séminaire auquel nous l’avons aussi accompagné. Ensuite, il y a eu Dijon et toutes ces actions que j’appelle « aveugles » se sont enchaîné. Plus j’ai agi ainsi, plus je me suis sentie joyeuse, complètement dégagée des contraintes du conflit avec mon frère alors qu’au départ je craignais de ne pas pouvoir retravailler ou de sombrer dans la dépression. A l’inverse, je ressentais de plus en plus de joie.
Des compagnes différentes, source d’inspiration
Début décembre Henri m’a appelée : « Je pars en Guadeloupe où tu as une compagne, je peux lui apporter le Soutra Bleu. J’espère aussi avoir l’occasion de proposer ce chemin à quelqu’un.» J’avais également le projet de m’y rendre. Durant son séjour, il avait reçu deux compagnes. J’ai eu le sentiment d’être accueillie en Guadeloupe comme par mes ancêtres, cela a été un séjour fabuleux. J’ai découvert de nouveaux compagnons, différents de mes compagnons habituels. La plupart de mes compagnons sont, comme moi, très attachés à garder leur libre-arbitre, à s’assurer que tout sera fait dans les formes. Alors seulement ils peuvent agir. Les deux nouvelles compagnes de Guadeloupe sont des professeurs de yoga. Elles ont tout de suite été curieuses, enthousiastes, elles n’ont pas eu l’obstacle de la cotisation… Donc elles ont commencé et ont accueilli dix compagnons au mois de janvier. Ce ne sont pas que des compagnons directs. Cela m’a interpelée car je cherche depuis longtemps comment on accompagne, comment on permet aux membres de notre Famille de pratique d’accueillir eux aussi des compagnons. J’ai entendu à cette occasion qu’il fallait que je me relie pour chercher comment permettre à mes compagnons directs de vivre cette expérience et cela m’a encouragée.
Je suis d’origine africaine, du Cameroun et la Guadeloupe, et lors de mon séjour j’ai eu la vision de Nantes, autrefois principal port négrier de France. J’ai vu avec acuité les conséquences engendrées par ce commerce triangulaire et j’ai souhaité sincèrement que tous les ancêtres puissent se pardonner. Je n’avais jamais vécu un séjour de cette qualité. A mon retour à Paris, pendant une semaine, j’ai été habitée par un état méditatif où vivaient toutes les mémoires présentes dans cette histoire mais dans la légèreté. J’ai eu le sentiment d’accéder à une conscience élargie d’une réalité aux dimensions insoupçonnées dont il est question dans les enseignements, la réalité du monde ancestral.
Anne