Entrons en amitié spirituelle avec nos ancêtres et nos défunts

Une envie de changement
6 janvier 2022

Comment le chemin d’humilité et de reconnaissance, de sagesse et de compassion proposé par le bouddhisme de l’Amitié Spirituelle Reiyukai permet-il d’avancer avec sérénité vers le moment ultime de la mort ? Quelle est la forme et la nature du lien que les pratiquants tissent avec leurs ancêtres et leurs morts ? Quelle connaissance de l’au-delà en retirent-ils ? En quoi la mort est-elle un moment fondamental et la vie une chance inouïe ? Telles sont les questions auxquelles j’essaierai de répondre dans cette intervention.

Le bouddhisme de l’Amitié Spirituelle repose sur l’enseignement de la Trilogie du Soutra du Lotus et sur la pratique de bodhisattva prônée par ce soutra. La pratique des membres consiste à réaliser eux-mêmes l’enseignement du Bouddha, à cheminer ensemble avec leurs amis spirituels et à offrir la récitation du Soutra à leurs ancêtres. Son but est d’œuvrer au bonheur et à l’Éveil de tous les êtres et à contribuer ainsi à l’harmonie et à la paix. Destinée aux laïcs, elle s’accomplit au sein de toutes les relations qui tissent leur existence et la modifient jour après jour.

Nourris des enseignements fondamentaux contenus dans le Soutra, les pratiquants s’efforcent de les rendre vivants dans leur cœur et dans leur esprit dans tous les actes de leur vie quotidienne. La description du monde exposée dans le Soutra invite en effet les pratiquants à reconsidérer leurs idées sur la réalité et à la regarder comme un immense réseau, en perpétuel changement, d’existences diverses, interdépendantes, reliées les unes aux autres, et soumises à la loi de causalité. Ils entendent qu’ils sont le résultat d’un nombre incalculable de causes issues d’un passé immémorial. Les récits des vies antérieures des grands bodhisattvas et du Bouddha lui-même, ainsi que les prédictions sur leurs vies futures, qu’ils lisent dans le Soutra, remettent aussi en cause leur vision limitée de la vie et de la mort, et du sens de l’existence. Ils apprennent également que chaque être humain a le pouvoir, s’il y aspire avec détermination, de s’éveiller à la sagesse et à la compassion du Bouddha, et de se libérer des conditionnements multiples qui emprisonnent les êtres dans le monde des idées, des attachements et, conséquemment, de la souffrance.

A l’instar de toutes les traditions bouddhistes, le bouddhisme de l’Amitié Spirituelle est basé sur le principe d’expériences. Les pratiquants agissent donc au sein de tous les liens en s’efforçant de considérer qu’aucune relation, aucune situation n’est fortuite, qu’elle a un lien avec leurs mondes ancestraux, avec leurs vies passées ou les actes passés de leur vie actuelle. IIs sont invités à considérer que comme eux-mêmes, les êtres humains qu’ils côtoient possèdent de grandes qualités, des talents et un potentiel d’Éveil mais qu’ils sont aussi prisonniers de conditionnements, liés à leur ignorance, qui dérangent ou blessent parfois les autres. Le Soutra et les aînés de pratique les exhortent alors à développer à l’égard de tous, le souhait de leur bonheur et de leur libération. Mais le terrain de leur pratique ne se limite pas aux relations avec leurs proches ou avec leurs amis spirituels.

Un aspect très important et très significatif du bouddhisme de l’Amitié Spirituelle réside en effet dans la conscience de la relation profonde que chaque être humain a avec ses ancêtres. Il considère aussi que si l’on souhaite établir une paix durable sur la terre, il est nécessaire de purifier les mondes ancestraux et les énergies invisibles, à l’œuvre dans ce monde. Au cours de la mise en acte des enseignements, les pratiquants prennent non seulement conscience de leur héritage ancestral, mais découvrent le monde vivant de leurs ancêtres. A leur vœu d’œuvrer au bonheur et à l’Éveil des êtres qui les entourent s’ajoute alors le souhait d’œuvrer à l’apaisement et à l’éveil de leurs ancêtres. Lorsque les pratiquants s’efforcent de créer un lien vivant, empreint d’humilité et de reconnaissance, avec leurs ancêtres, qu’ils les relient au monde de l’Éveil, qu’ils récitent le Soutra à leur intention avec le souhait qu’ils progressent dans le monde spirituel, ils constatent des changements étonnants dans leur réalité personnelle et familiale : la restauration de liens, l’apaisement de conflits, l’amélioration des conditions de vie, par exemple.

Quand un membre commence à pratiquer, il est invité à déposer sur son autel de pratique une plaquette ancestrale sur laquelle est inscrit le nom de famille de ses deux branches ancestrales et cette phrase : « Éclairés, puissiez-vous renaître dans des conditions favorables et suivre la voie du Dharma, compatissants, bienveillants, généreux, vertueux et animés par l’aspiration à l’Éveil. » C’est devant cette plaquette qu’il lit à voix haute le Soutra et invite ses ancêtres à entendre eux aussi les enseignements qu’il contient.

Dans le contexte de notre éducation occidentale et de notre époque, le fossé est immense entre la vie et la mort, entre le monde des vivants et l’au-delà, et, sur un autre plan, entre celui des humains et des Éveillés, entre ce que perçoivent nos sens obstrués et ce qui se révèle grâce à une vision pénétrante et des sens purifiés.

Globalement en Occident, la conscience du monde repose sur une approche matérialiste de la réalité et notre civilisation privilégie une vision du réel basée sur la compréhension intellectuelle et scientifique. Or la perception concrète du monde des ancêtres et du monde spirituel relève d’une certaine qualité de nos sens, y compris le mental. Notre mental, pollué de nombreuses conceptions erronées sur la réalité, bloque la connaissance, autant celle de notre monde fini, manifesté, que celle du monde invisible et du monde spirituel de l’Éveil. Cette ignorance plonge les êtres humains dans l’angoisse et dans la peur de la mort et de l’au-delà.

Cependant, grâce à la puissance de l’Enseignement, malgré ce fossé dû à notre éducation occidentale, les premiers pas sur la Voie sont marqués par des expériences étonnantes qui confirment certains enseignements sur la nature de la réalité, et en particulier sur la réalité du monde ancestral. Ces expériences seront d’autant plus précieuses qu’elles permettront aux pratiquants d’entrer dans la confiance et la curiosité, et d’accepter l’idée que la transformation essentielle de leur humanité s’accomplira toujours au-delà de leurs idées et de leur pouvoir personnel.

De nombreuses expériences témoignent du lien avec le monde ancestral au-delà de la mort.

Françoise découvre le bouddhisme de l’Amitié Spirituelle il y a quelques années. On lui propose d’inscrire sur sa plaquette ancestrale le nom des 2 branches de sa famille ainsi que celui du père de sa fille âgée de 12 ans. Elle élève celle-ci seule car elle a quitté son ami quand elle était enceinte et ne souhaite pas que son nom apparaisse sur la plaquette. Son « aînée de pratique » lui expose le sens profond de cette inscription et l’importance de relier, par cet acte, sa fille à ses ancêtres paternels. Au bout de quelques jours, Françoise décide que les 3 noms seront inscrits et commence à réciter le Soutra devant la plaquette ancestrale. Quelques jours plus tard, elle reçoit un coup de téléphone du père de sa fille, dont elle n’avait jamais eu de nouvelles : il lui demande de la rencontrer ainsi que son enfant. Étonnée par la concomitance entre son début de pratique en lien avec les ancêtres et cet évènement improbable, elle accepte de le rencontrer malgré ses propres réticences. Petit à petit les liens se nouent entre sa fille et son père. Il prend aujourd’hui son rôle auprès d’elle, de manière très concrète. Une relation apaisée se développe entre Françoise et lui.

Sophie, 45 ans, n’a pas vu son père depuis 15 ans : il est fâché contre elle, il ne la supporte pas, ils ne se supportent pas. Le lendemain de sa décision de pratiquer, elle reçoit un bouquet de fleurs de sa part ! Elle retourne alors voir ses parents. Quelques temps après, elle décide de les faire venir auprès d’elle car ils vivent loin, isolés. Elle prend soin de son père quotidiennement jusqu’à son décès.

Les pratiquants sont aussi invités à recueillir les noms de leurs ancêtres. Chacun d’eux recevra un nom de Dharma, nom destiné à le relier à l’Enseignement et au monde de l’Éveil.  Ces noms seront ensuite recopiés dans un registre ancestral, placé sur leur autel à côté de la plaquette ancestrale. Les nombreuses expériences liées à l’écriture de noms de Dharma pour les ancêtres témoignent de l’importance de nommer les ancêtres et de les inviter à entendre l’Enseignement.

Une expérience troublante :

Maëlle a 15 ans. Elle est déscolarisée car elle souffre de dépression. Malgré son jeune âge, elle a déjà fait plusieurs tentatives de suicide. Sa sœur, récemment membre du bouddhisme de l’Amitié Spirituelle, se met à la recherche de noms d’ancêtres. Fort heureusement, un oncle a déjà fait un arbre généalogique et une centaine de noms de Dharma peuvent être écrits pour les ancêtres de cette famille. Au-delà de toute espérance, Maëlle décide de retourner au lycée dans les jours qui suivent l’achèvement du registre. Elle a ensuite poursuivi de belles études, a construit une vie dynamique et n’a plus jamais souffert de dépression.

De la même manière, au décès d’une personne, un nom posthume est écrit à son intention. Les membres de sa famille sont invités à réciter le Soutra pendant 49 jours pour le défunt, en prononçant son nom posthume. Il sera ensuite recopié sur le registre de noms posthumes des ancêtres de la famille. Pendant cette période de 49 jours où l’esprit du défunt reste proche des siens, certains pratiquants expérimentent, pendant qu’ils récitent le Soutra à l’intention de leur défunt, combien il est important de le guider, de lui parler, de l’apaiser et de l’encourager à suivre les êtres célestes qui viendront à sa rencontre. Notre demande au monde de l’Éveil d’intercéder en leur faveur est aussi primordiale. Nombreux sont les pratiquants qui ont vu en songe leur défunt venir les saluer à l’issue des 49 jours. Cette pratique de proximité avec les morts et les expériences vivantes qui en découlent apportent aussi paix et soulagement aux vivants et transforment leur conscience de la mort.

Mon témoignage :

Lorsque je me rends chez Danielle, accompagnée de son frère aîné Alain, nous la trouvons profondément triste. Ils ont en effet perdu, à peine deux mois plus tôt, leur plus jeune frère, Patrick, âgé de 36 ans. Malgré le nom de Dharma qu’elle a écrit pour lui et ses efforts pour accepter cette réalité, Danielle est plongée dans un chagrin profond. Nous la quittons après une récitation commune du Soutra. Le lendemain, elle appelle son frère pour lui raconter un rêve dont elle sent qu’il est particulier : durant la nuit son frère décédé lui est apparu, apaisé, dans un halo lumineux, et il lui a prodigué ces encouragements : « Je vais bien, et toi, tu dois continuer le chemin avec courage. » Alain lui dit alors, qu’à son retour chez lui, il a demandé à Patrick de faire, s’il le pouvait, quelque chose pour elle afin d’apaiser sa tristesse.

 Anne Lise relate un rêve apaisant :

« J’avais terminé la pratique de récitation du Soutra pendant 49 jours pour accompagner mon papa et il était maintenant temps pour moi de recopier son nom posthume sur le registre de mes ancêtres. Bouleversée par les décès successifs de mon père, de ma mère et de mon beau-père en moins de cinq semaines, je sens que je recule intérieurement le moment de franchir cette nouvelle étape. Au bout de trois jours, je réussis à inscrire mon père dans mon registre. En saluant mon autel, je m’adresse ensuite à mon papa en lui souhaitant un beau chemin dans le monde spirituel et lui demande de m’envoyer, si possible, un message. La nuit suivante, je fais un rêve étonnant. Je rentre dans ma chambre et découvre mon papa mort allongé dans mon lit. Terrorisée, je m’écrie : « Mais c’est quoi cette mascarade ? » Mon frère et ma belle-sœur, assis près de lui me disent : « Ne t’inquiète pas, on va t’expliquer ». Alors mon père se met à bailler, s’étire, se lève et sort de la chambre en sifflotant et je lui dis : « Quelle aventure mon petit papa ! » Il me répond : »Véridique ! Véridique ! ». Mon réveil met fin à ce rêve encourageant et apaisant qui me donne confiance dans notre chemin après notre mort terrestre.

 Nous avons constaté chez les pratiquants conscients qu’ils vont mourir, confiants dans l’Enseignement et le monde des Éveillés, une grande progression de l’esprit et du cœur avant leur mort, comme si leur abandon accepté de la vie terrestre libérait leur être essentiel. Les nombreux ressentis et les songes des proches ont confirmé ensuite leur rôle majestueux dans le monde spirituel et leur capacité de protéger et d’aider leur descendance et leurs proches sur la terre. Il semble donc que selon leur conscience et leur lien avec le spirituel, les défunts aient plus ou moins la capacité d’aider ou de protéger leurs descendants. Combien de membres sentent la proximité de leurs défunts lors d’assemblées ! C’est un grand encouragement pour nous qui, par notre transformation, œuvrons à créer et consolider jour après jour une corde solide qui nous relie, ainsi que nos ancêtres, au monde puissant et généreux de l’Éveil.

Sylvie évoque Éric, son mari

Éric est décédé d’un cancer il y a quelques années, laissant ses deux garçons Ken et Peter ainsi que sa femme Sylvie.  Après son départ, Ken a vu son père dans un rêve : il lui a transmis l’importance qu’ils soient solidaires tous les trois et qu’ils développent le cœur d’aider les autres pour leur bonheur. A la date anniversaire de la mort de son père, Peter cuisine des plats que celui-ci aimait et il les lui offre sur l’autel familial. Chaque fois, il ressent une grande vague de reconnaissance à l’égard de son père et il sent sa présence. Quand il est envahi par des émotions qui l’alourdissent, il lui demande conseil. Son père l’aide à apprendre à vivre ses émotions et à les exprimer, ce que lui-même a eu du mal à faire durant sa vie. Quant à Sylvie, depuis son départ, elle est reconnaissante de tout ce que son mari a réalisé pour eux et des mérites qu’il a créés pour sa famille, pour ses proches. Elle lui parle, lui souhaite d’être heureux, et elle lui demande conseil pour leurs vies. Souvent, des signes du quotidien, en réponse à ses demandes, lui offrent des expériences concrètes et elle voit que la belle nature de bodhisattva d’Éric les accompagne.

 L’expérience des mondes ancestraux, outre qu’elle dissout la notion d’individu, telle que nous l’entendons habituellement, ouvre à l’indulgence envers tous les êtres car nous apprenons à reconnaître ce qui leur appartient en propre, et ce qui appartient à leurs mondes ancestraux ; à l’indulgence aussi envers nous-mêmes car ce principe vaut également pour nous. Nous apprenons à entrer en amitié spirituelle avec nos ancêtres et ceux des êtres qui nous entourent. Nous accueillons leurs peurs, leurs angoisses, leurs colères, leur violence parfois, et avec compassion, nous demandons au monde de l’Éveil de prendre soin d’eux. Quelle chance de pouvoir ainsi les entendre, les aider et les délivrer ! Quelle chance de pouvoir nous acquitter de notre dette de reconnaissance envers eux pour la vie et le monde qu’ils nous ont légués ! Chacun à sa manière n’a-t-il pas recherché la voie d’un bonheur essentiel dans des conditions de vie plus rudes et plus éprouvantes que les nôtres ! Certains, assurément, ont œuvré à la paix, ont lutté pour la liberté, l’égalité, la fraternité ! Tous ont souhaité et souhaitent encore, comme nous-mêmes, le meilleur pour leur descendance !

Grâce à cette relation vivante avec nos ancêtres et nos défunts, liée à la pratique de l’enseignement du Bouddha, grâce à nos actions au service de l’Éveil de nos amis spirituels, la vision de la mort, telle qu’elle est véhiculée dans notre culture ou vécue dans nos inconscients, s’efface au bénéfice d’une vision apaisée au sein d’un continuum dans lequel la vie et la mort ne sont pas opposées mais coexistent naturellement. Cette vision permet d’appréhender avec sérénité ce moment important et déterminant car il conditionne la qualité de notre retour dans le monde spirituel.

Nous réalisons, grâce à cette connaissance, combien notre incarnation – à un certain moment du temps et de l’espace – est précieuse et significative. Notre vie est une chance inouïe aux vues de l’océan des transformations potentielles de notre être et de tous les actes bénéfiques que nous pouvons accomplir, dédiés à l’Éveil d’un grand nombre d’êtres de ce monde et du monde invisible.

Pratiquants français du bouddhisme de l’Amitié Spirituelle, nous expérimentons aujourd’hui ce que Kimi Kotani, la fondatrice du Reiyukai, a transmis dans ses mémoires : « Nous sommes tous conscients que nous sommes venus dans ce monde parce que nous avons reçu la vie et, qu’après avoir épuisé le compte de nos années, nous retournerons dans le monde spirituel. S’il existe un chemin pour venir sur la terre, il existe aussi un chemin pour retourner dans l’au-delà. […]  Notre vie est reliée au monde spirituel.  Nous pouvons en être conscients si nous aspirons à le découvrir. Prenons en considération cette corde de vie. Notre venue sur la terre est déterminée par nos actions et nos relations passées, et par nos ancêtres dans le monde spirituel. Cherchez à savoir pourquoi il en est ainsi et travaillez à consolider la corde qui vous relie au monde spirituel afin qu’il vous protège. Alors, comme il est dit dans le Soutra des Sens Innombrables, vous recevrez  » la protection des Bouddhas du passé, du présent et du futur « .

 Claudine Carayol, Présidente du bouddhisme de l’Amitié Spirituelle

Conférence organisée par l’European Buddhist Union, le 24 avril 2021