Les paraboles du Soutra du Lotus sont éclairantes. C’est sur la parabole du fils pauvre, extraite du chapitre IV du Soutra du Lotus que Yasukazu Shinoda s’appuie pour encourager les membres du Reiyukai à élargir leurs aspirations, trop étroites, et à vérifier leur but de pratique, souvent trop personnel.
Relisons cette parabole et parlons-en avec lui.
La parabole du fils pauvre
Un jeune homme quitte un jour son père et part au loin. Or, plus le temps passe et plus sa situation se dégrade. Il vit misérablement, sans nourriture ni vêtements. Il erre et consacre tout son temps et son énergie à chercher de quoi subsister. Le fils arrive un jour dans la ville où son père, après l’avoir cherché en vain, s’est installé et où il a fait fortune. Pourtant, ce dernier regrette toujours la perte de son fils et n’aspire qu’à le retrouver pour lui léguer ses biens. Il aperçoit au loin son fils qui ne le reconnaît pas. La richesse de cet homme l’impressionne tellement qu’il s’enfuit, sûr qu’il ne pourra trouver du travail chez un homme d’un tel rang, vu l’état de misère dans lequel il se trouve.
Or le père se réjouit d’avoir retrouvé son fils : enfin ses vœux sont exaucés ! Il envoie donc ses serviteurs à sa poursuite afin qu’ils le ramènent. Mais le fils, qui ne comprend rien, est terrifié et s’évanouit. Le père ordonne alors à ses serviteurs de le laisser tranquille. Le fils s’en va dans un village pauvre où il trouve un peu de travail et de nourriture.
Mais le père n’abandonne pas tout espoir et il a un plan : il envoie deux serviteurs en haillons qui invitent gentiment le fils à venir travailler avec eux pour un double salaire : il devra ramasser le fumier ! Comme il s’agit d’un travail à sa mesure, il accepte volontiers et travaille avec courage. Pour approcher son fils sans l’effrayer, son père revêt lui-même des haillons, se couvre de crasse et se joint à lui. Peu après, il lui propose de devenir son propre serviteur. Quelque temps après, il lui dit qu’il le considère comme son fils et qu’il peut habiter dans sa maison. Mais le fils se considère toujours comme un simple ouvrier.
Le temps passe et la confiance s’installe peu à peu entre les deux hommes. Un jour, le père tombe malade et demande à son fils de gérer ses affaires. Ce dernier accepte mais se considère encore comme inférieur. Les rapports entre le père et le fils progressent jusqu’au jour où ce dernier sent qu’il va mourir. Alors, devant tous ses proches, il lui révèle enfin qu’il est son père. Le fils est maintenant prêt à entendre la vérité, il est émerveillé à l’écoute d’une révélation aussi inattendue et extraordinaire ! Il est en possession de trésors fabuleux qu’il n’a jamais convoités !
Que nous enseigne cette parabole ?
Le Soutra du Lotus et le chapitre 4 en particulier enseignent que nous avons un potentiel de grandeur et de richesse illimité. Le problème est que nous sommes ignorants du sens profond et merveilleux de l’existence humaine et que nous cherchons le bonheur ailleurs. Satisfaits de peu, nous manquons d’ambition, d’un projet vaste pour nous-mêmes et pour les autres. Ce projet de bonheur pour l’humanité, mentionné dans les enseignements du Bouddha, nous semble inaccessible. Apeurés, nous fuyons comme le fils pauvre à la vue des richesses de son père.
A l’instar du fils pauvre, c’est parce que vous êtes prisonniers de vos conceptions erronées que votre but reste personnel, votre pratique étroite, sans voir le potentiel extraordinaire de votre existence.
Quels éléments importants freinent notre progression ?
En raison de cet attachement aux conceptions et à des fonctionnements culturels et ancestraux, la pratique reste dans le mental, elle manque de confrontation au réel. Or le Reiyukai propose d’améliorer la réalité, la nôtre, celle des êtres qui nous entourent, celle du monde. C’est un but extrêmement concret. Avoir pour but de se transformer soi-même, par exemple, n’est donc pas suffisant. Il est indispensable d’agir dans les liens qui constituent la trame de notre vie – puisque tout est relation. Le résultat de notre pratique doit se révéler dans le monde, par la résolution des obstacles, des souffrances, des évènements douloureux qui se transmettent de génération en génération dans les familles, dans les pays, et par une transformation de la qualité de vie. Cela se réalisera si chacun prend sa pratique en main, avec responsabilité, et agit au sein des relations avec une aspiration juste.
Qu’est-il nécessaire de changer ?
Soyez davantage curieux d’entendre et de découvrir le sens profond de l’Enseignement sans vous laisser polluer par les conceptions. Si vous agissez comme l’Enseignement le propose, vous vérifierez qu’il prend vie dans vos expériences de pratique.
Votre pratique est aussi trop centrée sur vous-même ou ramenée à vous : tournez-vous sans cesse vers les autres, en particulier les êtres qui vous rejoignent sur ce chemin, écoutez-les, acceptez-les comme ils sont. Attentifs à ce qui apparaît – ce qui est très utile pour votre propre remise en cause, cherchez à les comprendre et encouragez-les.
Dans quel état d’esprit s’impliquer dans les relations ?
Un esprit de recherche dynamique, curieux, créatif, entreprenant.
Tout entier tournés vers les compagnons, aspirez à devenir à leur égard comme les grands bodhisattvas décrits dans le Soutra. Éduquez aussi votre esprit à rechercher les causes, les raisons profondes qui font que vos compagnons sont tels qu’ils sont. Cherchez comment les aider au mieux à se tourner eux aussi vers le progrès des autres, attitude grâce à laquelle, à leur tour, ils développeront naturellement, comme vous-mêmes, toutes sortes de qualités. Chez quelqu’un qui n’a pas de cœur pour les autres, par exemple, naîtra naturellement ce cœur s’il s’implique dans les relations. Et il en est de même pour toutes les « perfections » comme le don, la persévérance, la sagesse etc.
N’est-ce pas cela la pratique de bodhisattva ?
En effet, c’est le grand thème du Soutra du Lotus. Et ce cœur du progrès des autres et de la purification de la réalité est aussi déjà présent dans ce chapitre 4. Ce chapitre illustre aussi la compassion et la patience immenses dont fait preuve le Bouddha dans son ardeur et son habileté à nous guider progressivement vers l’Éveil, à l’instar de ce père qui, sans se décourager, avec discernement et générosité, cherche les moyens adaptés à dissiper l’ignorance de son fils.
Y a-t-il un aspect de cette pratique que tu voudrais souligner ?
Je le répète, la pratique des bodhisattvas est une vaste entreprise : il leur revient de créer le monde de Bouddha sur la terre. Cela requiert une conscience claire du but et du projet, et action et dynamisme dans les liens. La pratique des membres du Reiyukai consiste à améliorer, à purifier le monde dans lequel ils vivent. Il convient donc d’avoir des projets concrets dans ce sens. Cela se traduit par des projets pour notre famille, notre quartier, notre société. Il s’agit d’expérimenter – et de permettre aux autres d’expérimenter – une conscience et une qualité d’être en relation à l’autre inconnue jusqu’alors, source de bonheur pour les autres et pour soi. Et même si le but recherché n’est pas la résolution d’obstacles ou de difficultés personnelles- mais bien la quête d’une humanité exceptionnelle par le plus grand nombre – notre pratique engendre aussi une transformation étonnante de notre réalité et de notre vie.