L’été 2015, il m’a été proposé ainsi qu’à une quarantaine de pratiquants de nous rendre au Japon, berceau des fondateurs, pour faire une pratique que je ne connaissais pas. C’était très difficile pour moi d’aller au Japon mais je l’ai fait ; et dès que mes pieds ont touché le sol de cette terre, dans le cadre de cette pratique, j’ai senti un état très difficile s’exprimer en moi. Je l’expliquais alors comme la conséquence de la chaleur et par le fait que je n’étais pas très friand des voyages organisés en groupe mais, aujourd’hui c’est très clair que ce qui se manifestait à ce moment-là, c’était un état ancestral. J’avais par ailleurs, quelques semaines avant ce voyage, fait des recherches généalogiques et découvert des ancêtres influents par leur statut mais qui avaient sans doute accompli plein d’actions aux conséquences négatives. Tout le séjour a été très difficile, jusqu’au moment où nous sommes allés à Mirokusan, lieu dédié à la piété filiale et au Bouddha Maitreya, Bouddha du cœur et de la compassion.
Quand je suis arrivé dans ce lieu, j’ai ressenti plus fortement encore toutes mes résistances. Je devais m’exprimer le lendemain matin devant une assemblée ; je me revois ce soir-là dans un état de panique forte aller voir une aînée et lui exprimer mon état. Je lui suis très reconnaissant de l’attitude qu’elle a eue : elle n’a pas cherché à me consoler ordinairement, ne s’est pas laissée embarquer par les discussions que j’essayais de provoquer. Elle m’a simplement dit « c’est le moment de s’en remettre, c’est le moment de demander, de prendre refuge ».
J’ai passé une nuit difficile, comme déchiré par une bataille que se livraient en moi les aspects négatifs et positifs de mes ancêtres. J’ai eu le sentiment que les résistances qui m’habitaient étaient celles de certains d’entre eux ; et j’ai vraiment demandé à m’en remettre, j’ai récité tout la nuit « Namu myo ho renge kyo », en demandant à pouvoir aller vers le positif, vers la lumière.
Le lendemain matin, je me suis donc exprimé et je me souviens très bien avoir eu le sentiment que l’on parlait à travers moi. Je me rappelle aussi très clairement la vision que j’avais. Je voyais la mer, le soleil qui se levait et l’image de ma grand-mère, la mère de mon père est apparue. Je ne me rappelle plus exactement ce que j’ai exprimé mais il y avait notamment le manque de reconnaissance pour cette femme envers qui, à ce moment-là, se levait un cœur très profond. Ce dont je me souviens précisément, c’est l’état de plénitude dans lequel j’étais. C’était un état très puissant, très chaleureux, où je me sentais complètement relié au cosmos. Il m’a quitté dans l’après-midi …
Depuis deux ans, cette aînée m’a demandé régulièrement si j’avais retrouvé cet état, si j’avais refait cette expérience. Force était de constater que je n’y parvenais pas.
Depuis quelques mois, j’entends plus précisément quelque chose qui est d’ailleurs écrit dans le Soutra, c’est qu’il y a deux mondes : le monde ordinaire soumis à nos sens, nos désirs, nos conceptions ; que l’état présent de ce monde est lié aux actions ancestrales ; mais j’entends qu’il existe aussi un autre monde, celui de l’Enseignement : c’est un monde invisible, un monde spirituel habité par les éveillés. J’entends que le Soutra du Lotus est une clef pour accéder à ce monde-là.
Cet été, dans le monde ordinaire j’ai fait face à une situation qui m’a blessé, heurtant avec violence le monde de mes attachements et qui a généré une très grande souffrance. Ce que je vois aujourd’hui, c’est que cette situation précise m’a permis de faire l’expérience suivante.
J’ai tout de suite eu l’intuition que c’était une situation ancestrale à nouveau et j’ai vraiment essayé de m’en remettre à l’Enseignement et au monde des éveillés. J’ai donc récité beaucoup de Soutras mais sans filtre vraiment : je me sentais extrêmement vulnérable et à ce moment-là c’était l’être véritable qui demandait. Je me souviens notamment, un matin, après la récitation de plusieurs Soutras, avoir ressenti la nécessité d’aller réciter le Soutra du Lotus, sur la tombe de cette fameuse grand-mère. Je n’avais que quelques centaines de mètres à faire et j’y suis allé à pied, avec mon Soutra sous le bras. A quelques mètres du cimetière, j’ai senti le vent, la brise sur ma joue, et à ce moment-là, une vision s’est ouverte en moi : ce n’était pas le vent que je sentais mais comme le souffle de ma grand-mère. Aujourd’hui, je dirais qu’il s’agissait d’une énergie très bonne, très généreuse, très chaleureuse qui me réconfortait et qui me donnait en même temps de la force. J’ai donc récité le Soutra sur sa sépulture et, à nouveau, j’ai refait la même expérience qu’au Japon deux ans plus tôt, c’était le même état de plénitude. Cet état ne m’a pas quitté depuis.
A la suite, j’ai passé une première journée avec mon père durant laquelle nous avons beaucoup parlé des ancêtres alors qu’habituellement mon père, pragmatique et peu intéressé par le sujet, n’est pas trop loquace ; mais là, il était heureux d’évoquer des souvenirs que j’ignorais. Le lendemain nous sommes allés sur la sépulture de son père, puis dans la rue de son enfance. Ce n’est pas une très grande rue mais, je me souviendrai toute ma vie de ce moment-là, parce qu’à chaque porte, à chaque fenêtre, il me racontait l’histoire de son enfance. C’était un moment merveilleux, je voyais la joie qu’il avait à vivre ces instants, joie que je partageais ; et surtout je ressentais profondément que c’était l’action de ma grand-mère, c’est à dire que ce que nous vivions alors ce n’était pas de l’ordre de nos capacités personnelles, c’était autre chose qui agissait à travers nous.
Cet état qui ne me quitte pas aujourd’hui me réjouit énormément. Je vois combien c’est important lorsque l’on a le Soutra, et qu’on a la possibilité de faire ces expériences, de les raconter, de les partager avec les autres, au risque de ne pas être compris ou d’être moqué. Qu’importe, on a ce rôle-là car on n’a aucun mérite personnel à toucher à ces dimensions, c’est possible pour chacun d’entre nous et c’est le Soutra qui y mène.