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Le but du Reiyukai est que la société bénéficie des valeurs bouddhistes de tolérance et de respect prônées par l’Enseignement. C’est l’attitude qu’Eric a développé envers un jeune stagiaire handicapé qu’il a accompagné dans son travail.

Eric, tu travailles dans les espaces verts d’une municipalité et tu es membre du Reiyukai depuis de longues années : veux-tu illustrer en quoi cela influence ta façon de travailler ?

Il s’est produit des modifications dans plusieurs domaines. Mon rapport à la nature s’est modifié, approfondi. Je suis de plus en plus conscient de l’interrelation qui unit l’homme à la nature et extrêmement reconnaissant de travailler au quotidien dans ce milieu naturel. Je ressens un réel bonheur à contempler la croissance des plantes, à entendre le chant des oiseaux… J’apprécie le simple fait d’être là, en harmonie avec la nature, pleinement présent à ce que je fais. C’est un sentiment simple et merveilleux.

Sur le plan relationnel, j’ai mesuré l’importance de cet enseignement l’an dernier. En effet, Johnny, âgé de 16 ans, a intégré mon équipe pour un court stage. Il arrivait d’un Institut Médico Educatif et souffrait d’un handicap. Moi, je n’ai pas vu son handicap. J’ai surtout ressenti un grand manque de confiance en lui. Il était effrayé « Tu crois que je peux y arriver ? », me demandait-il souvent. A l’issue du stage, je l’ai encouragé à démarrer une formation en apprentissage. J’ai proposé à mon agent de maîtrise que le service l’accueille et un technicien a été désigné comme maître d’apprentissage. Son objectif était que toute l’équipe s’implique dans la formation du jeune garçon.
Johnny s’est souvent retrouvé à travailler avec moi parce que je l’ai accueilli avec chaleur. C’est ainsi que mes collègues l’ont découvert mais ils n’ont pas eu le même souhait que moi d’être proches de lui. Ils ne voyaient que son handicap et les efforts supplémentaires que cela leur demandait. A ce moment-là, j’ai vraiment vu que, malgré nos discussions, ils n’adhéraient pas au projet du technicien. « On n’est pas des éducateurs, disaient-ils ». Je crois que je n’ai pas été surpris par leurs réactions. Ils avaient envie d’être tranquilles, envie que leur quotidien ne soit pas bouleversé et sans doute ne voyaient-ils ni le rôle qu’ils pouvaient jouer auprès de lui ni les progrès et qualités qu’eux-mêmes développeraient… Alors qu’une de mes collègues, bouleversée par leur manque de cœur, souhaitait quitter notre équipe, je suis resté sans jugement. J’acceptais cette réalité, celle d’une humanité limitée. Finalement, j’ai pris le jeune garçon systématiquement avec moi sans dépendre de ce que pensaient mes collègues.

Que s’est-il passé durant cet accompagnement ?

Johnny avait eu une enfance très difficile. Souvent inquiet, il se décourageait facilement. Je voyais ce qui lui avait manqué pour grandir. Il a donc fallu l’encourager constamment, lui répéter que l’image qu’il avait de lui était fausse et que ses capacités réelles se manifestaient au quotidien dans son travail. Finalement, je me suis rendu compte que je mettais en œuvre naturellement les enseignements essentiels du bouddhisme : la considération pour l’autre, le potentiel illimité de progrès, le souhait sincère de son progrès…

A quoi attribues-tu la capacité que tu as eue de l’accompagner ?

En partie au plaisir que j’ai à transmettre mon savoir-faire, aussi, je crois, à la grande patience, à la gentillesse que j’ai héritées de ma mère et surtout aux qualités de cœur et de conscience créées grâce à nos compagnons de pratique à ma femme et moi. Depuis des années, nous essayons avec persévérance de permettre à nos compagnons – quelles que soient leurs difficultés ou leurs obstacles – de développer un cœur et une conscience plus larges et de transformer ainsi leur réalité. De plus, l’un de nos enfants est très remuant, « hors norme » à sa façon. Il a fallu développer pour l’éduquer des capacités d’acceptation et créer avec lui un lien basé sur la considération. Je voyais dans la relation avec Johnny tous ces efforts se concrétiser et j’ai réalisé alors quelle influence bénéfique cet enseignement avait sur la vie, la mienne et celle des autres.

Vos différences d’attitude à toi et à tes collègues ont-elles engendré des difficultés ?

Savoir qu’un être humain est le fruit de ses ancêtres, qu’il a une conscience limitée des conséquences de ses actes, m’a permis de ne jamais juger mes collègues, de conserver une bonne relation avec eux. J’ai pris conscience clairement que nos conceptions sont des freins à notre progrès et à celui des autres. Ils ne pouvaient pas concevoir que ce jeune garçon handicapé ait des capacités et n’étaient pas capables de faire les efforts nécessaires pour l’accompagner, efforts qui auraient pourtant été source de progrès et de joie pour eux aussi.

Comment l’apprentissage de Johnny a-t-il évolué ?

Il passe son examen dans quelques mois. Ses éducateurs trouvent qu’il a énormément progressé. On est vraiment heureux de l’avoir accompagné et de voir que se concrétise pour lui une réalité différente.